Cela fait longtemps que je voudrais cela, une parole plus libre à l’université, plus sensible, plus incarnée, qui ne se détache pas forcément des idées, des concepts. Tenter d’en finir avec cette vieille scission corps/esprit à la fois immensément utile et castratrice.
Nos corps pensent, c’est ainsi.
Nos histoires pensent. C’est ainsi.
Nos expériences pensent. C’est ainsi.
Les concepts, les idées s’infusent dans notre corps pour vivre différemment, sinon quel est l’intérêt de la recherche ?
Les émotions ne sont pas un caillou dans la chaussure, ce sont les panneaux d’indication.
Les corps ne pensent pas tout seuls. Ils pensent ensemble, pour nourrir les relations et le monde dans lequel ils vivent. C’est la première fois que je participe à un colloque avec un groupe et je trouve ça très apaisant. La pensée se sent plus en sécurité quand elle habite un groupe qui l’accueille comme elle est.
Il y a vingt personnes, c’est beau, on est tous en rond comme dans les groupes de parole que j’ai pu tenter dernièrement et qui sont plutôt dévalorisés dans cette époque qui a vécu les désillusions des années 70. S’écouter et parler différemment, stimuler une forme de bienveillance mutuelle n’est plus politique. Accueillir simplement ce qui se débat dans les corps blessés est insuffisant. On voudrait faire plus. (Est ce qu’on le devrait ?)
Avant que la méditation commence, une femme ferme déjà les yeux. Quelque chose se dépose.
Il y a un moment de flottement entre la fin de cette méditation et la parole mais il n’est pas long. Ensuite, on sent qu’on ouvre une boîte de Pandore, quelque chose dont on ne percevra jamais le fond, il y a trop de problèmes dans l’institution, trop de problèmes dans l’université. Il y a trop de problèmes dans nos histoires avec la pensée. Il y a trop d’obstacles dans nos tentatives de penser pour changer un monde qui sombre. Qu’importe.
Les paroles s’attrapent les unes, les autres. On sent que certaines choses résonnent mais il n’y a pas de consensus, rien ne se dégage, la pensée de tous ces corps ne prend pas corps. Ne devient pas une. Elle n’est pas conflictuelle non plus. Elle reste disparate comme sans doute est la pensée quand elle ne cherche pas à tout prix à se conformer à un cadre.
Le groupe se dissipe mais les corps demeurent, et les relations sont toujours possibles.
Texte : Isabelle Klein Dessin : Shiau-Ting Hung
(Ce texte est un retour à l’atelier que nous avons animé à plusieurs au 2e Congrès du GIS Institut du Genre, Genre et émancipation, à l’Université d’Angers, le 27 août 2019. Nous remercions tou·te·s les participant·e·s de tout nos cœurps.)